Bon CoinPartant du principe que l’appétit vient en mangeant et n’ayant pour l’heure aucune faim, je me dis que la fin justifiant les moyens, il serait judicieux de quérir une auberge pour soulager mon appétence.La place sur laquelle je me trouvais étant circulaire, je fus donc étonné de trouver en ce lieu, un établissement  baptisé «Le Bon Coin» dont l’objet semblait être la restauration.

On est en train de monter une mayonnaise ! rien de plus.

Dans un angle du laboratoire, un autre commis broie du noir d’un air sombre, pendant qu’un autre court autour de la table une poêle en main, pour faire revenir des lardons dans leur récipient originel. Un autre grouilllot retire des paillettes d’une casserole. Il déglace une sauce me dit-on.

 

Je venais juste de m’ installer quand le propriétaire de l’estaminet vint me présenter les spécialités de son établissement.

- Monseigneur, me dit-il, vous venez de pénétrer dans le seul établissement de France dont la spécialité est l’air.

Ici vous pourrez déguster toutes sortes d’airs. Nos airs sont tous des airs bios, élevés aux grains et en plein air de l‘air du temps. Vous trouverez des airs de bord de mer, des airs de montagne, avec en supplément un jodle, pour nos airs Suisse. Je vous conseille tout particulièrement nos airs gais, qui mine de rien vous enlèveront cet air chafouin qui vous donne cet air triste. Car nous avons supprimé de notre carte les sales airs, car avec les charges les salaires ne suivent pas toujours.

 

Mais dites moi , aubergiste :

- Comment faites-vous pour servir de l’air, l’air de rien ça ne doit pas être simple ?

C’est une hôtesse qui est chargée du service en salle. Une hôtesse de l’air, formée dans les plus grands palaces, où on trouve les meilleurs spécialistes pour brasser du vent. L’air vous sera servi en bol, vous pouvez commander plusieurs bols d’air. Si vous aimez la fraicheur, je vous conseille de bien remuer car le fond de l’air est frais et c’est toujours rafraichissant de prendre l’air. En général notre clientèle, repart libre,libre comme l’air. Pas le moindre ballonnement pas le moins  petit souffle d’air, car il faut toujours être méfiant du dernier souffle, il est souvent fatal.

 

Pour commencer je pris un air de famille puis un petit air de musique suivi d’un air entendu. Pendant que je me repaissais d’air, j’observais mon voisin. Il attendait depuis de longues minutes, il n’avait pas de bol, et quand on le servit , il se jeta sur son bol comme un rapace sur son aire. Il est vrai qu’il attendait depuis de longues minutes, si longue fut son attente que j’ai cru un temps qu’il allait changer d’air. Il avait un drôle d’air, un air sombre qui pouvait laisser penser qu’il y avait de l’orage dans l’air.J’eus envie de  cracher en l’air pour transformer son air sombre en bulles d’air, qui auraient transformé sa table en aire d'atterrissage.

 

Repus, un peu ballonné voire essoufflé,  je quittais l’estaminet d’un air entendu en promettant dit revenir. On m’avait fourni un airbag pour emporter les restes de mon repas.

 

Quelques jours plus tard, comme je repassais dans le quartier l’envie me vint de prendre un bol d’air. Mais, pas de bol,  le «Bon Coin» avait disparu. mon marchand d’air n’était plus, un coup de vent l’avait emporté. Un petit trou marquait l’endroit du restaurant surmonté d’un petit écriteau :

«nous nous excusons auprès de notre clientèle, l’établissement s’en est allé airer (et non errer ) sous d’autres cieux. Veuillez trouver en lieu et place ce trou d’air pour vous rappeler à notre bon souvenir.»

 

Quel dommage que ce lieu ait disparu on pouvait y fendre l’air, y brasser du vent sans que ça porte à conséquence. En  lieu et place, j’aurais bien mis un autre écriteau pour les générations futures.

«Passez votre chemin et souvenez vous, ici on vendait du vent, ça n’a l’air de rien mais un courant d’air a tout emporté. Souvenez-vous en.»

 

Est ce un hasard, c’est en ce lieu, qu’on vient de dresser, ce jour, une oeuvre de Calder.

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